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Jeudi,  19 septembre 2024   23:45
Le tourisme spatial en 2023: science-fiction ou réalité?

Il y a presque dix ans, en 2013, Philippe Bergeron, président fondateur d’Uniktour (aujourd’hui Voyageurs du Monde), se positionnait à l’avant-garde d’un nouveau produit qui devait nous transporter dans un autre monde : le tourisme spatial.

M. Bergeron évoquait alors une expérience un vol à bord d’un avion spatial qui mènerait le pilote et son unique passager en quelques minutes à 60 km d’altitude, aux frontières de l’espace. Le départ devait se faire d’un aéroport situé dans le désert de Mojave, en Californie. Coût de l’aventure : 95 000 $US.

Le navire spatial devait être construit par une entreprise américaine : Xcor Aerospace. Une « ligne aérienne spatiale » avait même été lancée : Space Expedition Corporation (SXC).

Philippe Bergeron avait réservé un siège : il aspirait lui-même à devenir un touriste de l’espace. Mais le rêve s’est évanoui... Et Voyageurs du Monde a retiré cette incursion spatiale de son catalogue depuis au moins cinq ans.

« À ce jour, les vols suborbitaux ne sont pas encore opérationnels et ces entreprises financent leur développement à même les dépôts de clients », a-t-il expliqué à PAX.

Philippe Bergeron, de Voyageurs du Monde, a renoncé à offrir des vols touristiques dans l’espace.

« Nous ne sommes pas embarqués là-dedans et nous n’avons aucun projet à court et moyen terme de commercialiser ce type de produit. Nos créneaux chez Voyageurs du Monde, Terres d’aventure et Karavaniers sont très porteurs et nous nous concentrons sur nos offres de services sur terre. »

Mais le rêve n’est pas mort…

Néanmoins, le rêve d’amener des touristes – fortunés – aux frontières de l’espace ou dans l’espace lui-même (à 100 km et plus de la Terre) n’est pas mort. Malgré les défis technologiques et financiers considérables qu’il pose, ce rêve est même plus vivant que jamais !

À ce jour, on ne compte que huit voyageurs dans le monde qui sont allés dans l’espace. De richissimes gens d’affaires, on s’en doute. Le tout premier fut Dennis Tito, un Américain d’origine italienne, en 2001. Il lui en a coûté la bagatelle de 20 M$ et il a dû s’entraîner comme un astronaute.

La première touriste féminine de l’espace fut une Irano-Américaine, Anousheh Ansari, en 2006. Charles Simonyi, un ancien de Microsoft, y est allé deux fois. Le Québécois Guy Laliberté fut le premier touriste spatial canadien en 2009.

Aujourd’hui, entrepreneurs et visionnaires rêvent plus que jamais d’amener des touristes dans l’espace – sans toutefois que ces derniers soient forcés de suivre l’entraînement d’un membre de la NASA !

Le client visé possède une bonne condition physique, certes, mais surtout, il a les poches pleines. Il est prêt à débourser plus de 100 000$ US pour une expérience de quelques heures, avant de revenir sur le plancher des vaches.


Différents projets

Le grand rêve du tourisme spatial a connu un dur revers en 2014 quand le vaisseau spatial VSS Enterprise de Virgin Galactic, créé par Richard Branson, s’est écrasé dans le désert des Mojaves, faisant un mort et un blessé grave.

Mais la conquête de l’espace a connu sa part de tragédies, ce qui n’a jamais freiné les audacieux ! Richard Branson lui-même et trois employés de Virgin Galactic ont réalisé un vol touristique spatial en 2021.

Jeff Bezos, patron multimilliardaire d’Amazon mène son propre projet. Sa société Blue Origin développe des technologies spatiales depuis les années 2000, dont un lanceur suborbital réutilisable. Blue Origin NS-16 a emporté Jeff Bazos et trois autres touristes en juillet 2021 – peut-être pour aller livrer un colis dans l’espace ou explorer ce nouveau marché, qui sait ?

De son côté, SpaceX, une autre entreprise, est encore plus ambitieuse. Elle prévoit rien de moins qu’un tour de Lune, et ce, alors que la NASA, avec toute son expertise, peine à faire décoller sa propre fusée pour y retourner !

Cela n’a pas empêché Yusaku Maezawa, chef de la direction de Start Today, d’annoncer le 15 décembre 2022 que huit touristes avaient été retenus parmi un million de candidatures pour un premier vol civil qui les mènera autour de notre astre lunaire à bord du Starship, une fusée en cours de développement par Space X.

Quand ? Mystère ! Aucune année n’a été précisée, ce qui en dit long sur l’incertitude entourant ce premier projet lunaire civil. Il faudra sans doute des années, voire plus d’une décennie, pour y parvenir, car jamais une fusée n’a transporté autant de personnes à la fois : dix incluant les deux membres d’équipages.

Bref, les passagers sont mieux de songer à un plan B à Epcot Center au cas très probable où ce projet digne d’Hollywood s’effondre avant même d’avoir décollé.

Au moins une dizaine d’autres entreprises concurrentes à Space X aspirent à offrir du tourisme spatial dans un horizon de quelques années.


Des hôtels dans l’espace ?

Mais il y a plus. Où faire dormir les touristes si on veut les amener plus d’une journée vers les étoiles ? Plusieurs y ont déjà pensé.

Des entrepreneurs projettent donc de créer des hôtels qui seraient placés en orbite. Des Hilton de l’espace quoi, prêts à accueillir de célestes voyageurs et à leur offrir la nuit et le petit déjeuner !

Néanmoins, la plupart de ces projets semblent voués à l’échec. La station Aurora, qui devait être capable d’accueillir six touristes de l’espace, a fait faillite en 2021, avant même d’avoir décollé et accueilli son premier client.

Pourtant, Richard Branson croit toujours à ces hôtels spatiaux et espère en voir de son vivant... Le futur pourrait lui donner raison d'ici peu.

En effet, un autre projet d’hôtel spatial est maintenant prévu pour 2027. La nouvelle a été annoncée dans le cadre d’un « sommet mondial spatial et subaquatique » tenu en septembre en Espagne, auquel ont participé une trentaine de sociétés intéressées par le tourisme de luxe. On a alors évoqué une station océanique internationale en 2026 et un hôtel dans l’espace dans cinq ans.

En Europe seulement, ce marché de riches est évalué entre 130 000 et 170 000 M€ par an, soit 22 % de tout le secteur touristique. De quoi stimuler les méninges des entreprises et des ingénieurs qui lorgnent ces univers quasi vierges.


Un gros ballon appelé Neptune !

[Space Perspective]

Un autre projet est censé décoller dans les prochains mois. Proposé par Voyages TravelBrands/Exotik Tours, il est d'ores et déjà disponible par l'entremise des agences de voyages québécoises.

Dans ce cas-ci, on parle d’une envolée dans un « vaisseau » en forme de bulle panoramique accroché à un immense ballon. Son nom : Neptune – on se croirait dans un roman de Jules Vernes ! Capable d’accueillir huit passagers, la capsule arrondie de Space Perspective s’élèvera à 30 km de la Terre. C’est plus haut que l’altitude atteinte par les jets privés, mais attention : à cette hauteur, on ne parle pas encore d’espace, mais de stratosphère.

L’ascension doit durer deux heures; la période d’observation de notre planète, deux autres heures; et le retour sur terre (sur la mer en fait), encore deux heures. Durée totale du périple : six heures.

Le Neptune doit décoller de la terre ferme depuis le site de Cap Canaveral. Au retour, le vaisseau amerrira non loin de la côte floridienne. La capsule et ses passagers ainsi que le ballon seront récupérés par un navire.

Les premiers vols sont prévus en 2024 et toutes les places disponibles sont déjà réservées. Les intéressés pourraient donc devoir patienter à 2025. Coût par personne : 135 000 $US. La réservation ne coûte que 1000 $, remboursable, mais il faut payer l’excursion un an avant le départ.


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Bien sûr, à ce prix, il y a des avantages additionnels : le forfait de cinq jours et quatre nuits comprend l’accueil à l’aéroport, le transfert aller-retour en limousine privée de l’aéroport d’Orlando, quatre nuitées dans un hôtel 5 étoiles local, l’aller-retour en limousine de l’hôtel au Cap Canaveral, les droits d’entrée et la visite du Kennedy Space Center, le lunch et les boissons à bord du vaisseau... 

Sont exclus le vol vers la Floride, les pourboires, les repas et l’assurance voyage. 

Pas besoin d’avoir l’entraînement et la condition physique d’un astronaute. On exige toutefois des intéressés qu’ils n’aient pas de problèmes cardiaques.

L’intérieur du Neptune comprend neuf sièges inclinables (dont un pour le pilote) et des fenêtres panoramiques qui offriront une vue à 360° de la Terre. Une connection Wi-Fi permettra aux passagers de communiquer directement leurs impressions et leurs images à leurs proches. Un cône insubmersible à la base de la capsule permettra un atterrissage en douceur sur l’eau.


Un « vaisseau spatial » carboneutre ?

[Space Perspective]


Les critiques du tourisme spatial soulèvent souvent l’aspect peu écologique de ces vols qui, s’ils se multipliaient avec des fusées, augmenteraient beaucoup la traînée polluante dans l’espace.

En réponse, Space Perspective insiste sur le fait que le Neptune sera le premier « vaisseau spatial » carboneutre. Le fait que la capsule soit transportée par un ballon plutôt que par une fusée rend effectivement l’expérience plus « verte ».


Un buzz sur le site de Vasco Val-Bélair

La présentation de cette envolée à bord du Neptune a créé un véritable buzz sur le site web de Voyage Vasco Val-Bélair. Michelle Belleau, copropriétaire de l'agence, relate que l’annonce a été vue des dizaines de milliers de fois en quelques jours ! Elle lui a aussi amené un premier client très intéressé : un prospère entrepreneur capable de s’offrir ce produit niché et coûteux.

« Pour chaque produit touristique, il y a toujours un acheteur », avance Mme Belleau avec optimisme.

Elle-même ne dirait pas non à un éventuel voyage de familiarisation… Il faut dire que les simulations que l’on peut voir sur YouTube sont tout simplement féériques !


[Space Perspective]


Liste d’attente

Nathalie Tanious, chef de l’exploitation de TravelBrands/Exotik Tours, mentionne que si tous les voyages prévus en 2024 sont, en principe, vendus, il demeure possible de s’inscrire sur une liste d’attente.

« Toutes les agences au Canada peuvent réserver des places ou même une capsule par notre entremise. Au moment où l’on s’écrit, on pousse les voyages de 2025. Il y a définitivement une clientèle pour ce produit, qui a le portefeuille nécessaire. Si on peut vendre des croisières à 300 000 $, on peut vendre les voyages avec Space Perspective ! » lance-t-elle.

Pour les agences de voyages qui parviendraient à vendre un de ces vols, la prime est plus qu’alléchante. La commission demeure à 10 %, nous a confirmé Nathalie Tanious. Faites le calcul : 135 000 $ US pour un forfait, c’est 13 500 $ US par passager. Pourquoi pas un groupe ?


La chef de l’exploitation de TravelBrands/’Exotik Tours, Nathalie Tanious.


Un type de voyage qui ne fait pas l’unanimité

De tous temps, l’Homme a voulu repousser ses horizons. Après la découverte de Nouveaux Mondes sur terre par les explorateurs, d’autres voyageurs ont suivi, puis les touristes. Jusqu’ici, l’espace et les grandes profondeurs océaniques ont échappé au tourisme, mais pour combien de temps ?

N’empêche que de nombreuses voix critiquent le tourisme spatial – notamment pour des raisons écologiques et humaines.

Marc-Antoine Vachon, titulaire de la Chaire de tourisme Transat à l’ESG-UQAM, fait partie de ceux qui s’y opposent. Invité à commenter par PAX, il n’a pas caché son souhait que ce nouveau produit ne remporte pas trop de succès.

« On comprend qu’il y a un certain pourcentage de population sur Terre qui possède beaucoup d’argent et qui va rechercher des expériences exceptionnelles, presque uniques, pour dépenser cet argent. Mais les voyages touristiques dans l’espace s’inscrivent à contrecourant d’à peu près tout ce qu'on préconise actuellement », dit-il.

Le titulaire de la Chaire de tourisme Transat à l’UQAM, Marc-Antoine Vachon.

« La maxime actuelle, avec le défi des changements climatiques, c’est "voyagez moins, voyagez mieux". Si on utilise des fusées pour faire du tourisme spatial [NDLR : ce qui n’est pas le cas de Space Perspective avec son immense ballon], on atteint un autre niveau de pollution, avec un voyage qui ne va profiter qu’à quelques personnes. C’est totalement indéfendable ! »

Marc-Antoine Vachon ajoute que le concept de tourisme durable n’implique pas que l’environnement : il implique aussi l’humain…

« Dans le voyage traditionnel, on va à la rencontre de l’autre et on permet un enrichissement culturel, une perpétration de l’Histoire humaine par le patrimoine. Mais avec des expéditions réservées à une poignée de gens très riches, on évacue l’aspect social. »

Et il y a aussi l’aspect économique, poursuit-il.

« Si on va en Europe, dans le Sud, au moins, notre argent profite à une communauté. L’environnement écope, mais ça fait tourner l’économie et travailler des gens. Des communautés seraient dans la misère sans l’apport du tourisme. »

Or, on voit mal à quelle communauté le tourisme spatial pourrait bénéficier, n'étant accessible qu'à des gens très fortunés, qui pourront se vanter d’avoir vu la Terre depuis l’espace.

« On est dans le moi, dans la déification de soi. La planète ne peut plus se permettre ce type de voyage ! » tranche Marc-Antoine Vachon.

De la science-fiction à la réalité

Le ballon Neptune de Space Perspective s’envolera-t-il pour la stratosphère dans deux ans comme prévu ? Ou ce projet sombrera-t-il comme tant d’autres avant lui ? On le saura dans un avenir prochain. 

Mais quoi qu’il en soit, on peut déjà être sûr que les efforts pour ouvrir l’espace aux touristes se poursuivront, rapprochant chaque fois la science-fiction de la réalité.


[Space Perspective] 

 



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